A propos du référendum d'entreprise
Le référendum d’entreprise, pour les libéraux, est vanté au principe « qu’il injecte de la démocratie dans l’entreprise en donnant la parole aux salarié-es ». La démocratie ne s'arrête-t-elle pas pourtant "à la porte de l'entreprise" ? La parole à notre commission juridique.
Le contexte
Mesure phare et l’une des plus contestées de la loi Travail, le référendum d’entreprise est entré en vigueur au 1er janvier 2017 suite à la publication au journal officiel le 22 décembre 2016 du décret n° 2016-1797 du 20 décembre 2016.
La loi Travail a été l’objet d’un vaste rejet du monde du travail et la Fédération Nationale SUD Santé Sociaux au sein de Solidaires reste mobilisée pour en obtenir l’abrogation. Parmi les organisations syndicales de salarié-es ou d’employeurs, seuls le MEDEF et la CFDT ont approuvé le référendum d’entreprise qui trouve sa logique libérale dans le triptyque des lois Macron, Rebsamen et El Kohmri.
Le référendum d’entreprise, pour les libéraux, est vanté au principe « qu’il injecte de la démocratie dans l’entreprise en donnant la parole aux salarié-es. »
Il ne faut pas se fier aux apparences ! La réalité est tout autre et le référendum est le moyen direct d’inverser les normes en droit du travail. En effet, la loi El Khomri applique un principe nouveau : dès lors qu’une loi ne l’interdit pas, ses dispositions peuvent être modifiées par accord de branche ou d’entreprise. Aucune garantie, bien évidemment, sur ces modifications qui bousculent la règle ancienne selon laquelle l’accord d’entreprise devait « améliorer » l’accord de branche qui lui-même améliorait la loi. Désormais un accord d’entreprise pourra être inférieur. Et pour éviter que des syndicats ne jouent le rôle de fusible par le droit d’opposition, c’est le référendum qui désormais court-circuitera le système ! On se souvient du référendum chez SMART en Moselle où les salariés avaient cédé au chantage du patron et du syndicat minoritaire en acceptant d’être moins payé et travailler plus !
La démonstration n’est donc pas faite que cette « injection de démocratie » améliorera le sort des salarié-es et nous devrons mettre tout en œuvre, tant par la voie de l’action syndicale que celle de l’action judiciaire, pour faire échec à ces référendums quand ils démantèlent les droits des salarié-es.
Textes de référence
La Loi Travail
- le texte : LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
- Décision du Conseil constitutionnel n° 2016-736 DC du 4 août 2016 (partiellement conforme)
- LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (rectificatif)
- LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (rectificatif)
Le Décret sur référendum d’entreprise
- Décret n° 2016-1797 du 20 décembre 2016 relatif aux modalités d'approbation par consultation des salariés de certains accords d'entreprise (publié le 22 décembre 2016)
- Décret n° 2016-1797 Version consolidée au 28 décembre 2016
Ce que prévoit le décret
Sa portée :
il concerne les accords d’entreprises passés en application des articles L. 2232-12, L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail, articles portant sur l’organisation et le déroulement des négociations collectives).
Il ne concerne que les accords portant sur la durée du travail, les repos et congés qui seront signés à partir du 1er janvier 2017, ainsi qu'aux accords "offensifs" en faveur de l'emploi signés depuis le 9 août 2016.
A compter de 2019, tous les accords entreront sous le régime du référendum d’entreprise pouvant être sollicité par un syndicat minoritaire signataire. Des dispositions transitoires sont également prévues pour les accords venant d’être signés depuis la promulgation de la loi.
Il ne modifie pas les règles fixées par l’article L 2232-21 du Code du Travail sur les accords signés avec des membres élus du CE, de la DUP ou DP (en absence de délégués syndicaux) et mandatés par une ou des organisations syndicales puisque ces accords étaient déjà soumis à validation par consultation du personnel.
les conditions dans lesquelles un référendum d’entreprise peut être sollicité.
La loi Travail vient totalement modifier les règles de la négociation collective dans l’entreprise.
Jusqu'à présent un accord d'entreprise ne pouvait s'appliquer que s'il était signé par une organisation syndicale représentant au moins 30% des salarié-es (suffrages exprimés lors du vote IRP).
Les autres organisations, si elles totalisaient au moins 50% pouvaient faire valoir leur droit d'opposition.
Désormais
- Seuls les accords signés entre l'employeur et des syndicats représentant au moins 50% des salarié-es seront applicables ce qui signifie que le droit d'opposition disparait.
- Un ou des syndicats signataires représentant plus de 30% des salarié-es peut demander la tenue d'un référendum d'entreprise.
La demande de référendum par le syndicat minoritaire doit être faite par écrit auprès de l’Employeur et auprès des autres organisations syndicales représentatives (*) dans le mois qui suit la signature de l’accord.
les conditions d’organisation d’un référendum d’entreprise
C'est à l'employeur que revient la charge d'organiser le référendum dans un délai de deux mois (). Le vote a lieu à bulletin secret ou par vote électronique (). Pour être validé, l'accord doit obtenir une majorité favorable d'au moins 50% des votes exprimés.
Les modalités du vote sont fixées par un accord électoral négocié entre les seuls signataires de l'accord d'entreprise soumis au référendum qui doit prévoir :
Les modalités de transmission aux salarié-es du texte de l'accord
Le lieu, la date et l'heure du scrutin ;
L'organisation et le déroulement du vote ;
Le texte de la question soumise au vote des salarié-es. »
Cet accord électoral doit être porté à la connaissance des salarié-es dans un délai de 15 jours () et en cas de désaccord sur les modalités, il y a possibilité de saisir le Tribunal d'Instance dans un délai de huit jours ().
Le Tribunal statue sous la forme de référé et en dernier ressort, c’est-à-dire qu’il n’y a pas moyen de faire appel de sa décision, le seul recours étant le pourvoi direct en Cour de Cassation.
Le procès- verbal du vote doit être annexé à l'accord soumis à référendum.
Quelques remarques
Le référendum, outre les accords sur la durée du travail, les repos et les congés, pourra porter dès 2017 sur un "accord offensif en faveur de l'emploi".
Un accord offensif, c'est le principe du "travailler plus pour gagner moins". Les salarié-es ne voulant s'y plier feront l'objet d'un licenciement individuel et on devine déjà les batailles qui verront le jour autour de ces licenciements. Les réformes menées en parallèle de la loi travail sur la procédure prud'homale, devenue désormais plus complexe, prennent leur véritable dimension et on mesure combien Macron, Rebsamen et El Komri ont de la suite (libérale) dans les idées (sans parler de l'affaiblissement des pouvoirs de l'inspection du travail).Lors des discussions sur la loi travail une partie du patronat (CGPME) a cherché à obtenir le droit pour l’employeur d’organiser un référendum sur un accord minoritaire même si le syndicat signataire n’en faisait pas la demande. La loi n’a pas retenu cette possibilité et si, d’un point de vue strictement juridique l’employeur peut organiser autant de référendums qu’il veut sur les sujets qu’il veut, ces référendums n’ont aucune valeur juridique.
Il y a fort à craindre que tôt ou tard le patronat obtienne gain de cause sur ce point. En attendant, certains employeurs n’hésiteront sans doute pas à le mettre quand même en œuvre afin d’asseoir une Décision Unilatérale (1) en absence d’accord majoritaire. Il s’agirait d’une manœuvre grossière de contournement de la loi et il faudra la dénoncer comme telle.La disparition du droit d’opposition constitue un retour en arrière considérable sur les principes de la représentativité, du rôle dévolu aux organisations syndicales et des principes de la négociation collective. Le référendum contourne ce rôle et vient désarmer les syndicats qui jusque-là pouvaient faire obstacle aux accords scélérats. Certes, les salarié-es sont à même de juger lorsqu’un un accord est négatif mais on ne doit pas sous- estimer les effets dévastateurs qu’ils et elles subissent en désinformation, pression, chantage ou promesses intenables. Les représentant-es du personnel, par les informations qu’ils obtiennent dans les instances, DP, CE, CHS-CT, avec ou sans l’aide d’experts, quand ils siègent en CA, apportent un autre éclairage que le discours du patron et du syndicat minoritaire…
Nous devrons être très pointu-es sur la restitution de cette information aux salarié-es, leur donner toute l’info, commentée et expliquée.La procédure pour mettre en œuvre un référendum présente des incontournables qui doivent être parfaitement respectés. A défaut, nous pourrons les utiliser pour faire obstacle au référendum:
- la demande de référendum par le syndicat minoritaire doit être formulée non seulement à l’employeur mais aussi aux autres syndicats représentatifs non-signataires. Le non- respect de cette obligation pourrait être soumise au Juge soit avant le référendum en référé pour le retarder, l’empêcher... soit après pour en demander l’annulation…
- le référendum doit être demandé dans le mois qui suit la signature : Le non- respect de cette obligation pourrait être soumise au Juge pour en demander l’annulation.
- le référendum doit être organisé dans les deux mois suivant la demande : tout retard pourrait présenté au Juge et argumenté pour obtenir l’annulation du référendum.
- L’accord passé entre l’employeur et le syndicat minoritaire signataire doit être communiqué aux salarié-es dans les 15 jours après sa signature : là encore tout manquement ou difficulté peuvent être soumis à l’appréciation du Juge.
- Les conditions d’organisation du référendum doivent obéir aux règles générales du droit électoral, respecter les règles de confidentialité, d’accès égalitaire pour chaque salarié, etc… le vote s’effectue sur le temps de travail. Il faudra peser, quand l’accord est défavorable, le pour et le contre sur l’appel à participer en votant contre et le boycott. Selon la stratégie choisie, à l’instar des élections pour les IRP, il faudra être vigilants sur la participation possible des salarié-es en repos, congés maladie, mater, de nuit…etc
- Le protocole d’organisation doit prévoir le texte et la question soumis aux salarié-es : attention aux manœuvres de désinformation, de présentation avantageuse « en votant oui vous sauvez votre emploi, l’entreprise » « un petit effort vous est demandé aujourd’hui pour garantir demain ». Outre que syndicalement nous avons largement les moyens de dénoncer par tract ces manœuvres, le Juge pourrait être questionné sur les situations les plus graves pouvant toucher à la « loyauté » des négociations collectives.
-On le voit, les situations de contentieux judiciaires sont nombreuses et expliquent d’ailleurs les réticences de quelques patrons sur le principe de ce référendum. On les a peu entendus dans la bagarre sur la loi Travail car les médias ont largement préféré passer le micro aux partisans de la mesure, Cfdt en tête (2).
L’exercice pour certains patrons
Visant à contourner ainsi les syndicats majoritaires restera un exercice périlleux sur lequel nous devons nous appuyer pour mener la bagarre. A nous d’œuvrer là où nous sommes majoritaires dans les IRP (seuls ou avec d’autres syndicats) pour mettre toute la pression utile afin d’empêcher le référendum ou, le faire peser dans le sens favorable aux salarié-es.
-Nous devons nous préparer au risque de nombreux contentieux au plan judiciaire même si en premier lieu c’est l’action syndicale qui doit prévaloir. L’action judiciaire doit intervenir soit en complément de l’action syndicale soit au final quand plus rien ne peut être obtenu dans la boite.
-La procédure devant le Tribunal d’Instance ne requière pas l’obligation d’un avocat. Tout-te militant-e un peu aguerri-e à la prise de parole peut s’y lancer. La procédure écrite est assez souple.
-Pour accompagner les équipes qui en auraient besoin, nous avons mis en place en 2016 et au plan fédéral une formation juridique spécifique sur la saisine du Tribunal d’Instance. Cette formation est plus particulièrement destinées aux animateur-trices des SD (elle peut s’élargir aux militant-es sensibilisé-es au juridique) et traite également de la procédure en cas de contestation de RSS, DS, élections, etc. Se renseigner auprès de l’Ifet qui collecte les demandes de formation en provenance des SD.
-La commission juridique fédérale et le secrétariat apporteront de leur côté tout le soutien technique et stratégique pour ces recours en privilégiant l’action militante devant le Tribunal d’Instance plutôt que le recours systématique aux avocats.