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Soins sans consentement et droits fondamentaux en psychiatrie Le rapport qui confirme l’importance de poursuivre les mobilisations

La précédente Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan et son équipe, ont publié le 17 juin 2020 un nouveau et dernier rapport thématique « Soins sans consentement et droits fondamentaux ». Il est téléchargeable sur le site du contrôle général. La commission psy du syndicat SUD santé sociaux réagit à celui-ci pour apporter tout notre soutien aux analyses qu’il développe.

Télécharger le rapport

Le texte de cet article dans notre tract en PDF


L’ambition du rapport

Le rapport de la CGLPL est salvateur car il aborde le sujet des soins psychiatriques par un côté trop rarement pris en compte : le respect des droits des patient·es, non pas comme une contrainte qui pèse sur les équipes, mais comme un objectif qui participe en premier lieu à la qualité des soins et à l'efficacité des accompagnements et des prises en charge.
En interrogeant, dénonçant, critiquant, et proposant de très nombreuses pistes d’améliorations, le rapport nous pousse à interroger nos institutions psychiatriques, services et établissements, ainsi que nos propres pratiques professionnelles et fonctionnements. Bien souvent nos pratiques relèvent d’habitudes ou de « ça va de soi », difficiles à analyser faute de temps et de moyens pour le faire. Et surtout quand ce sont les manques de moyens qui participent à des fonctionnements liberticides problématiques.

Patient·es comme soignant·es subissent les privations de libertés

Dans son introduction, le rapport note : « Un français sur cinq souffre de « troubles mentaux», souffrance ayant conduit, en 2016, 342 000 personnes à une hospitalisation à temps complet. Parmi celles-ci, 80 000 ont été prises en charge sans leur consentement. Ce mode d’admission, prévu par la loi depuis le 19ème siècle, s’associe souvent à l’enfermement de ces patient·es dans l’établissement de santé habilité à les recevoir, établissement qui devient ipso facto un lieu de privation de liberté. »
Au plus près de ces personnes, souvent enfermé·e·s (pour reprendre le terme employé par la Contrôleure) au sein de services hospitaliers, œuvrent les professionnel·es (soignant·es) : agent·e·s des services hospitaliers, aides-soignant·e·s, infirmier·e·s, ergothéra-peutes, psychomotricien·ne·s, secrétaires médicaux·ales, assistant·e·s sociaux·ales, éducateur·rice·s, aides médico-psychologiques, cadres, psy¬chologues, psychiatres.
Tous·tes sont témoins des privations de liberté subies par les malades.

Des pratiques qui font souffrir

Les soignant·e·s participent à cet état de fait en gérant, ou décidant ces privations de liberté. Cependant ils et elles peuvent aussi en souffrir. Très souvent ces privations de liberté heurtent profondément les soignant·e·s.
Forcer des patient·e·s à s’habiller d’un pyjama d’hôpital, les forcer à remettre leur téléphone portable, leur chargeur, leur ceinture, leurs produits d’hygiène, les forcer à ne plus circuler, les contraindre à ne plus sortir du service ou de l’établissement, faute de moyens thérapeutiques et humains adaptés à leur prise en charge… Autant de souffrances subies quotidiennement par les équipes qui viennent s'ajouter à la déshumanisation de nos métiers.

Le rapport dénonce fermement ces pratiques. Il appelle à les considérer pour ce qu’elles sont, déshumanisantes, humiliantes, attentatoires à la dignité, mais aussi relativement peu efficaces.
Ces actes quotidiens, souvent banalisés ou rationalisés comme participant au soin, constituent des violences et provoquent de la souffrance, pour les malades en premier lieu, mais aussi pour les soignant·e·s.
Isoler un·e patient·e dans une chambre d’hôpital, l’y enfermer à clef, attacher avec des contentions une personne à un lit, l’immobiliser ainsi pour de longues heures, ou de longues journées, administrer un anticoagulant par piqûre pour prévenir une complication de cette immobilisation forcée. Ces actes laissent des traces chez les malades ainsi que chez les soignant·e·s.
Savoir que l’on surdose des patient·e·s parce que les effectifs sont insuffisants, parce qu’on ne peut pas prendre le temps d’écouter sont choses insupportables.
Or, met en garde le rapport du CGLPL, « la part des soins sous contrainte dans les admissions croît de façon préoccupante, atteignant le quart des admissions et représentant 40% d’entre elles dans certains établissements ».
Exposant dans le même temps les soignant·e·s à des pratiques très discutables, voire inacceptables.

La psychiatrie doit combattre tous les enfermements, pas en être l’outil

Ainsi la démarche du CGLPL vient soutenir la vision de soins émancipateurs qui luttent contre l’enfermement sous toutes les formes. La fédération SUD santé sociaux partage ces orientations. A plusieurs reprises le rapport dénonce l’injonction faite à la psychiatrie d’être un rouage sécuritaire des politiques de maintien de l’ordre.
En étant prises en étaux entre les injonctions contradictoires de soin et de sécuritaire, les institutions psychiatriques peuvent avoir tendance à céder aux sirènes de pratiques se rapprochant du carcéral, avec les imaginaires qui vont avec. C’est en partie contre ces inclinations que nous devons lutter pied à pied par du travail collectif de réflexion et de thérapie institutionnelle. D’ailleurs page 81, le rapport défend l’apport historique de la « psychothérapie institutionnelle, support théorique historique pour de nombreuses équipes dans la mise en place du secteur, qui avait permis un niveau élevé de savoir-faire psychiatrique »). Mais pour cela, encore faut-il en avoir les moyens humains et conceptuels.
Il est à noter que ce rapport relève la psychiatrisation croissante de « problèmes sociaux », problèmes dans lesquels la société refuse d’admettre sa part de responsabilité : psycho-traumatisme, précarité, suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels, des personnes violentes et la « radicalisation » (avec le partage contesté de données).
« S’y ajoute la psychiatrisation de toute souffrance psychique, résultant d’événements ordinaires de parcours de vie (deuils, ruptures) ou induits par la pression de l’injonction sociale à la performance sur tous les aspects de la vie : professionnelle, scolaire, relationnelle, apparence physique, etc », observe également le rapport.
Fort justement, le rapport alerte sur le fait qu’une « partie de la communauté médicale se montre ambiguë sur ces impératifs sécuritaires. Les professionnels hésitent à ouvrir les portes des unités de soins qui accueillent des patient·es en soins sans consentement et des patient·es en soins libres, entravant ainsi gravement leur liberté d’aller et venir, au motif de la sécurité, du risque de « fugue », etc.
Pour les patient·es admis sur décision du représentant de l’État, les psychiatres font valoir que leur responsabilité serait engagée en cas de problème et parfois citent des affaires, récemment jugées, mettant en cause des psychiatres ».
Le rapport souligne que « la communauté médicale est obnubilée par la responsabilité qu’elle pense encourir en cas de passage à l’acte, quel que soit le patient et son mode d’admission. Le patient devient dangereux d’abord pour le risque juridique potentiel qu’il fait courir au médecin ou à l’établissement et s’en prémunir peut passer avant le respect des droits du patient ».
Pour le rapport, il faut donc donner des moyens importants à la formation, qu’elle soit initiale ou continue. Sur les questions de respect des droits, cela passe entre autres par des formations juridiques.
Cette responsabilité, réelle ou imaginée, entrave souvent la qualité des soins : le syndicat SUD Santé Sociaux en fait également ce constat. Il serait nécessaire de nous débarrasser d’angoisses et de fantasmes qui nous entravent et nous amènent à avoir des comportements inadaptés. Travailler sur ses angoisses est un travail qui ne s’adresse pas seulement qu’aux autres.

Les manques de moyens humains et matériel en psychiatrie à nouveau affirmés

Le rapport de la CGLPL rappelle que les hôpitaux psychiatriques « ne sont pas épargnés par la crise de l’hôpital public ». Notamment en ce qui concerne les moyens humains mais aussi la réduction des lits. Cela alors que la demande en soins augmente et que le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous s’allonge (particulièrement dans le secteur de pédopsychiatrie).
Quoiqu’en disent certain·es expert·es, spécialistes, professeur·es émérites ou politicien·nes, la Contrôleure insiste : « Sur le territoire, il existe un besoin incompressible d’hospitalisation ».
Le rapport précise la situation : « La diminution rapide des capacités intra hospitalières – passée de 170 000 lits en 1970 à 50 000 lits en 1999 – n’a pas été compensée par une augmentation nécessaire des moyens alloués aux dispositifs extrahospitaliers ; couplée à la pénurie de médecins psychiatres exerçant en secteur public, elle a conduit à une croissante difficulté pour accueillir des patient·es en crise, à des retours insuffisamment préparés vers le domicile et à des ré-hospitalisations plus fréquentes ».
La Contrôleure souligne que ce même manque de moyens humains conduit à l’accroissement des hospitalisations sans consentement puis à la bureaucratisation des prises en charge, processus tristement « intériorisé par tous ».
Les restrictions de personnels tout comme les contraintes de gestion conduisent également à l’appauvrissement des soins prodigués (suppression des activités thérapeutiques et occupationnelles au sein des services).
En intra, le diagnostic sur le sous-effectif est sans appel : Page 47 « Si l'effectif qualifié de « normal » que l'on constate de quatre à cinq soignants pour vingt-deux à vingt-cinq patients permet, sous réserve d'une bonne organisation, d'assurer les entretiens, les sorties, les activités, l'humanisation des phases de crise à plusieurs et les tâches administratives, l'effectif de « sécurité » à deux soignants, limite l'activité des infirmiers à un rôle de « gardiennage » éloigné du soin, les dépossédant de leur rôle propre d'initiative, d'activité et d'observation, pour les restreindre au seul rôle prescrit. Il a été largement témoigné aux contrôleurs que ces situations conduisent à une perte de sens de leur mission pour les soignants et de sens de leur hospitalisation pour les patients ». On dirait un tract syndical.
Le déficit en médecins vient renforcer les fonctionnements observés. Faute de temps et d’espaces (bureaux et salles !), la réflexion institutionnelle s’appauvrit, le malaise professionnel s’approfondit et la qualité des soins diminue tandis qu’on évolue durablement dans des conditions dégradées où il est davantage question de flux que de patients. Quoiqu'en disent les spécialistes de la communication.
Dès lors on peut raisonnablement se demander à quoi servent encore les comités d’éthique des établissements en santé mentale cependant que le silence assourdissant des tutelles n’interroge même plus les acteurs du terrain.

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Défendre des pratiques responsabilisantes et tolérantes

Le rapport souligne qu’il est tout à fait possible pour les patient·es de « cogérer » leur prise en charge avec les équipes soignantes. Ce modèle constitue en lui-même un travail thérapeutique et valorisant pour tous : SUD souscrit absolument à cette affirmation.
Concernant la représentation dans les instances officielles, le rapport met en garde sur le fait que bien souvent les personnes concernées par la maladie mentale sont dépossédées de leur droit de parole. En effet : « Les représentants des usagers sont généralement des associations défendant les intérêts des familles, non pas ceux des usagers eux-mêmes. Les patients en psychiatrie sont à ce point dépossédés de leur possibilité et capacité à être citoyens, que l'on considère que leur famille les représente » (page 72).
Enfin le rapport plaide pour une place croissante faite aux pair·es-aidant·es, dont une place de plus en plus importante devrait être laissée dans les institutions. Nous percevons cette préconisation comme une volonté d’affirmer le respect d’une place légitime intégré à la psychiatrie.
Car une des pistes pour l’amélioration du respect des droits des patient·es passe sûrement par une déstigmatisation des représentations de la folie dans l’ensemble de la société comme le souhaite le rapport. Mais aussi au sein de la psychiatrie elle-même, où les malades sont trop souvent perçu·es comme « autres » par rapport aux soignant·es.

Le secteur, quasi absent

Sûrement car ce n’est pas son angle d'attaque, le rapport, s'il brosse un rapide historique de la prise en charge des maladies mentales en France, aboutissant à la mise en place du secteur dans les années 70, parle peu de l’organisation des soins selon la politique de secteur. Une philosophie et politique de soins avec une équipe dédiée à un secteur géographique prenant en charge gratuitement la prévention, la cure et la post-cure, c'est-à-dire l’intra et l’extra-hospitalier, voire une partie du médico-social.
Le manque de moyens alloués à celui-ci depuis longtemps, a vu une dérive se mettre en place que révèle le rapport. Celui d’une psychiatrie à 2 vitesses, avec un secteur privé à but lucratif alimenté par un secteur public de 1ère ligne saturé qui n’a plus les moyens de proposer des soins à tous et toutes. Cela génère des abandons de soins pour une partie de la population qui n’a pas les moyens d’assumer le coût des prises en charge dans le privé.
Or le secteur est le meilleur outil pour réduire ces privations de liberté : quand ce sont les mêmes personnes qui accompagnent à l’extérieur et à l’intérieur ou, lors des premières crises, aux urgences, il y a plus de confiance, moins d’angoisses, moins de persécution donc moins de soins sous contrainte, d’isolements et de contentions.
Et cela avec des effectifs qui permettent de laisser le temps à la relation, à la connaissance réciproque. Tout bêtement.

Lutter contre la pensée unique, et répondre aux volontés hégémoniques par la tolérance et à la multiplicité des pratiques

Pour tout cela, nous avons besoin des sciences humaines et sociales, et de réflexions juridiques, auxquelles le CGLPL participe (nous souhaitons que Mme Simonnot, qui a succédé à Mme Hazan, continue dans cette voie).
Elle se positionne très clairement contre tout courant qui se veut hégémonique. Page 81 elle affirme par exemple que les « neurosciences qui ne font pas l'unanimité et ne peuvent devenir une réponse exclusive aux besoins de soins des patients ».
Dans la période actuelle, on observe une forte instrumentalisation politique des débats et divergences conceptuelles. Elle est utilisée pour limiter drastique-ment la palette des prises en charge possibles au profit unique des pratiques promettant les effets les plus rapides et efficaces économiquement. Or à la complexité du psychisme humain, il faut associer la plus grande diversité des propositions et approches, ce qui nécessite des moyens humains et économiques conséquents, n’en déplaise aux dirigeant·es austéritaires de tous bords.

Psychiatrie et luttes émancipatrices, elles doivent toujours aller ensemble

Le syndicat SUD santé sociaux, qui participe au collectif unitaire du “Printemps de la Psychiatrie”, continue de s’associer à toutes les luttes et mobilisations qui visent à étendre les droits des personnes, et en particulier ceux des malades de psychiatrie.
L’amélioration de la qualité des soins psychiatriques reste indissociable de la lutte pour l’augmentation des moyens humains et matériels à l’hôpital public. Afin d’éviter la marchandisation du soin psychique financièrement rentable : l’augmentation de la patientèle et de l’offre privée est ainsi pointée dans le rapport. Tout comme est dénoncé l’abandon de celles et ceux qui ne possèdent pas de mutuelle et qui ne pourront obtenir ou poursuivre les soins.
C’est entre autres une des conclusions mises en avant de ce rapport. C’est pour ces raisons que nous le porterons dans les mobilisations à venir pour défendre en psychiatrie :

  • des moyens à la hauteur des besoins
  • l'augmentation des capacités de prise en charge et d’accompagnement, y compris la réouverture des lits d’hospitalisation complète supprimés
  • le renfort massif des effectifs en intra comme en extra-hospitalier
  • des formations spécifiques rémunérées
  • la défense des politiques de secteur, pour une psychiatrie publique accessible pour toutes et tous
  • L’abandon de la réforme du financement de la psychiatrie