Le droit au silence consacré dans les procédures disicplinaires de la Fonction Publique
Jusqu’à présent, la notification du droit à garder le silence était considéré comme une garantie constitutionnelle fondamentale uniquement en matière de procédure pénale.
Le Conseil Constitutionnel a récemment changé la donne.
Saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité sur la procédure disciplinaire des notaires, il a fixé l’interprétation suivante :
« 9. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. » (Cons. const. 8 déc. 2023, n° 2023-1074 QPC)
Il n'a pas fallu longtemps pour qu'il en soit tiré parti dans des recours déjà bien avancé, dans la fonction publique hospitalière notamment :
“Aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire faisant l'objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire” (CAA de PARIS, 6ème chambre, 02/04/2024, 22PA03578, Inédit au recueil Lebon)
Le Conseil d’Etat a ensuite accepté de transmettre au Conseil Constitutionnel une nouvelle Question Prioritaire de Constitutionnalité portant spécifiquement sur la procédure disciplinaire des fonctionnaires. Celui-ci vient de se prononcer, sans surprise, dans le même sens :
“11. Les articles 19 de la loi du 13 juillet 1983 et L. 532-4 du code général de la fonction publique sont relatifs aux garanties dont bénéficie le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée. Ils prévoient notamment que ce dernier a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel.
12. En application des dispositions contestées, l’administration est tenue de l’informer de ce droit. En revanche, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne prévoient que le fonctionnaire poursuivi disciplinairement est informé de son droit de se taire.
13. Il résulte des articles 19 de la loi du 13 juillet 1983 et L. 532-5 du code général de la fonction publique que le fonctionnaire poursuivi ne peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe qu’après consultation d’un conseil de discipline devant lequel il est convoqué. Lorsqu’il comparaît devant cette instance, le fonctionnaire peut être amené, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître les manquements pour lesquels il est poursuivi disciplinairement.
14. Or, les déclarations ou les réponses du fonctionnaire devant cette instance sont susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction.
15. Dès lors, en ne prévoyant pas que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789. Par conséquent, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.” (Décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024)
Le Conseil Constitutionnel a ordonné l’abrogation effective de cet article du CGFP à compter du 1er octobre 2025, le temps pour le gouvernement de rédiger un nouveau texte conforme.
Surtout, il a confirmé que jusqu’à cette date, ou la sortie d’un nouveau texte conforme, le droit de se taire :
- devait être signifié aux agent.e.s dans les procédures à venir;
- pouvait être invoqué dans les procédures déjà engagées
Ces dispositions ont immédiatement été mises à jour sur Legifrance, à l'Article L532-4.
Un droit applicable également aux agent.e.s non titulaires
Il ne fait aucun doute que cette décision du Conseil Constitutionnel doive aussi s’appliquer à la procédure disciplinaire des agents non titulaires des trois fonctions publiques, décalquée sur celle des titulaires.
Il est également probable que les décrets d’application de ces textes seront modifiés en conséquence, à savoir, pour la Fonction Publique Hospitalière :
- les Article 1 et Article 2 du décret 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière
- l’Article 40 du Décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière.
Enfin, il est évident que l’on doive appliquer la même logique aux entretiens préalables à sanction disciplinaire, quand ils ont lieu, et quand bien même ils ne sont prévus par aucune disposition réglementaire. En effet :
- ils sont susceptibles de déboucher sur une sanction de premier groupe, ou bien la saisine du Conseil de discipline
- il est indéniable que l’agent “peut y être amené, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître les manquements pour lesquels il est poursuivi disciplinairement” et que “les déclarations ou les réponses du fonctionnaire devant cette instance sont susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction”.
Toute absence de notification de ce droit doit donc entraîner la nullité de la procédure, quand bien même cette étape n’est pas encore explicitement prévue par voie réglementaire.
Pour les procédures des fonctionnaires et agents non titulaires, ce vice de forme n’est pas « danthonysable », du nom de la fameuse jurisprudence qui permet de valider une procédure viciée lorsque le juge considère qu’il n’a malgré tout pas été porté atteinte à des garanties fondamentales et / ou que cela n’a pas influencé le sens de la décision finale.
En tirer les conséquences en dehors de la Fonction Publique
La notification du droit au silence doit également, en toute logique, s’appliquer à toute procédure civile pouvant déboucher sur des mesures ayant un caractère de sanction, soit :
- aux procédures devant les ordres professionnels, et notamment de la santé, ceux-ci ayant la capacité d’infliger des mesures ayant caractère de sanction, au sens du Conseil Constitutionnel.
- aux procédures disciplinaires des salarié.e.s du secteur privé, prises dans le cadre des Article L1332-2 et Article R1332-1 du Code du Travail
Là encore, le droit au silence doit pouvoir être invoqué dans les procédures futures ou en cours de contentieux, et est susceptible à tout moment de faire l'objet d'une QPC spécifique.