Conseils médicaux dans la Fonction Publique : les vices cachés d'une réforme
La dégradation rapide des conditions de travail dans nos secteurs, qui casse les corps et les esprits, a placé la question de la protection sociale des agent.e.s au coeur de notre action syndicale de terrain. Ministères et directions ont parfaitement saisi les enjeux : ils n’ont eu de cesse de compliquer la tâche des représentant.e.s syndicaux, et de rendre encore plus difficile l’accès aux différents recours.
Les procédures d’aptitude et de reclassement pour raison de santé des fonctionnaires ont ainsi été profondément remaniées ces dernières années, donnant à la fois de nouveaux droits aux agent.e.s (La Période de Préparation au Reclassement dite « PPR »), mais permettant également aux employeurs de « forcer » le reclassement statutaire pour raisons de santé.
Quant au nouveau Conseil médical, issu de la fusion des Comités Médicaux et des Commissions de réforme rendue officielle en mars 2022, il reste l’instance centrale de ces procédures, malgré une volonté affichée de « simplifier » un certain nombre de procédures pour lesquelles le Conseil Médical n’est plus saisi qu’en cas de contestation.
LES TEXTES
- Article L821-1 du nouveau Code Général de la Fonction Publique (Conseil Médical)
- Articles L822-1 à 30 de ce même Code (régime des Congés Maladie)
- Décret n° 2022-351 du 11 mars 2022 relatif aux conseils médicaux dans la fonction publique hospitalière modifiant notamment :
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 modifié relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et aux régimes des congés de maladie des fonctionnaires
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraites des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 modifié relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 modifié relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels
Remarque :
L'autre texte socle pour le fonctionnement des commissions de réforme auquel nous étions habitués, l’Arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique hospitalière paraît désormais obsolète, bien qu’il n’ait pas été formellement abrogé ; mais il a été pris en vertu de l’ancienne rédaction de l’article 31 du décret n°2003-1306, qui n’a plus cours depuis mars 2022.
UN CONSEIL, DEUX INSTANCES
Le Conseil médical est issu de la réforme des comités médicaux et des commissions de réforme, qui fusionnent en une seule instance.
Tout comme les commissions paritaires, ce nouveau conseil médical a deux compositions possibles, en fonction des sujets :
Une formation dite plénière :
Elle correspond à l’ancienne commission de réforme, avec l’ensemble de ses membres :
* Deux médecins agréés ; dont un spécialiste de la pathologie
* deux représentant.e.s de l’administration tiré.e.s au sort parmi des candidats désigné.e.s au sein des conseils de surveillance et d’administration des établissements de la FPH du département ;
* deux représentant.e.s du personnel désigné.e.s par les deux OS ayant eu le plus de sièges dans la CAP correspondante. En cas d’égalité, elles sont départagées au nombre de voix.
ATTENTION : pour chaque titulaire, ce sont désormais DEUX SUPPLEANT.E.S qui peuvent être désigné.es par les OS, et non un.e seul.e comme auparavant
Le quorum est à QUATRE, dont au moins deux médecins et un représentant du personnel.
Une formation dite restreinte :
Elle est composée uniquement des médecins agréés, qui siègent alors au nombre de TROIS, avec un quorum à DEUX
Les domaines de compétence n’ont pas bougé :
Au conseil médical en formation plénière (ex commission de réforme) les avis sur ce qui relève des accidents et affections imputables au services
Au Conseil Médical en formation restreinte (ex Comité Médical) les avis sur tout ce qui relève de la maladie ordinaire
La composition des conseils médicaux ne demande plus explicitement la présence d’un médecin spécialiste de l’affection concernée.
Dans les deux cas, la présidence n’est plus assurée par un.e représentant.e désigné.e par la Préfecture (qui assure toujours le secrétariat), mais par l’un.e des médecins membre de l’instance. Le Président a désormais une voix prépondérante.
Analyse :
La suppression de la présence obligatoire d’un médecin spécialiste est évidemment défavorable aux agent.e.s. La « simplification » n’est pas innocente. Les tribunaux censuraient régulièrement les décisions administratives défavorables lorsque la commission de réforme et le comité médical ne remplissaient pas cette obligation. Une nouvelle jurisprudence sera donc à reconstruire en s’appuyant sur les jugements précédents.
L’attribution d’une voix prépondérante au Président est quant à elle une manœuvre grossière, parfaitement anti-démocratique et évidemment destinée à forcer des avis négatifs en cas de partage des voix sur des dossiers sensibles. Lorsque l’on sait la difficulté des médecins à reconnaître notamment les AT relatifs au burnout et à la souffrance au travail, on voit tout de suite l’intérêt que les directions pourront tirer de ces deux mesures.
COMPÉTENCES
La « simplification des instances » cache bien souvent l’affaiblissement de nos droits. Le renforcement du pouvoir des médecins au sein du Conseil médical, la diminution du nombre de saisines obligatoires, vont malheureusement dans ce sens.
En formation restreinte (ex comité médical)
Ils sont toujours consultés obligatoirement pour avis sur tout ce qui concerne les Congés Longue Maladie, Congé Longue Durée et disponibilités d’office pour raison de santé (première attribution, renouvellement au bout d’un an et réintégration ou non à l’issue des droits).
En cas d’impossibilité de réintégration après épuisement de ces droits, le Conseil Médical donne son avis sur une éventuelle mise à la retraite d’office pour invalidité.
Mais le Conseil devient une simple instance de recours sur des désaccords liés :
- à une procédure médicale d’admission aux emplois publics
- à la prolongation des congés de maladie ordinaire au-delà de 6 mois
- au renouvellement d’un Congé Longue Maladie ou longue Durée en deçà d’un an.
- au contrôle médical des congés maladie des fonctionnaires
- à l’octroi d’un temps partiel thérapeutique
Le recours doit être formulé dans les deux mois suivant l’avis du médecin agréé.
Dans tous les cas, les agents en CLM ou CLD doivent se soumettre une fois par an à un examen par un médecin agréé
Analyse : le changement est subtil. Quand il n’y a pas de problèmes dans les expertises des médecins agréés, c’est effectivement plus simple de ne pas avoir à attendre le passage devant le Conseil, déjà engorgé. Mais en cas de souci, il est en effet peu probable que les agent.e.s exercent ce droit de recours. Combien d’agent.e.s saisissent les CAP sur les questions de temps partiel ?
A l’inverse, une nouvelle compétence du Conseil médical en formation restreinte pose problème. Il est saisi pour avis par l’administration pour toute demande de détachement pour raison de santé, mais désormais également concernant les demandes de reclassement statutaire pour raison de santé demandées par l’administration.
Analyse : c’est un changement majeur. Auparavant, les procédures de reclassement statutaire, qui impliquent un changement définitif de grade, ne pouvaient être demandées que par les agent.e.s, même en cas d’inaptitude définitive. Les directions peuvent ainsi chercher à "provoquer" l'inaptitude d'un.e agent.e, plutôt que de chercher sérieusement à adapter son poste de travail
En formation plénière (ex commission de réforme)
Les conseils médicaux en formation plénière sont toujours consultés pour avis en cas de doute sur l’imputabilité au service d’un accident et avant toute reconnaissance de maladie professionnelle, ainsi que :
- sur l’octroi et le renouvellement du Congé d’Invalidité Imputabilité au Service, et l’imputabilité de l’ensemble soins
- le taux d’Incapacité Permanente Partielle (IPP) créé par une maladie professionnelle, imputable au service ou par un accident de service
- sur les invalidités totales pouvant ouvrir droit à une pension de retraite pour invalidité, ainsi que l’attribution de l’Allocation Temporaire d’Invalidité (ATI), versée lorsque l’IPP est supérieure à 10 %
- sur le versement de la rente prévue pour les agents stagiaires licenciés pour inaptitude physique suite à des maladies ou lésions contractées en service
Analyse : Comme indiqué dans notre note sur le CITIS, la simplification est cette fois censée jouer dans le sens des agents. En effet, la commission de réforme devait auparavant être systématiquement saisie pour avis avant tout refus de reconnaissance d’imputabilité au service.
Recours
Seuls les avis du Conseil médical en formation restreinte peuvent être contestés devant un Conseil médical Supérieur, institué auprès du Ministère. Le Secrétariat du Conseil Médical doit obligatoirement informer les agent.e.s de cette possibilité.
Ce recours est suspensif, dans la limite de 4 mois. Au-delà, la direction peut prendre une nouvelle décision en considérant que le recours a été rejeté.
Analyse : c’est une certaine avancée, dans le sens où le texte précise désormais que le recours est suspensif. Cela signifie que la Direction doit « geler » la situation des collègues le temps qu’il se prononce.
La décision administrative de la Direction vient formaliser le résultat de toute la procédure. Elle peut être contestée dans les deux mois selon les voies habituelles, soit directement devant le tribunal administratif, soit par un recours gracieux ou hiérarchique préalable, non obligatoire.
Analyse : De jurisprudence constante, les avis du Conseil médical ne peuvent pas être contestés en tant que tels.
Néanmoins, des irrégularités de procédure peuvent être soulevées dans le cadre du recours contentieux contre la décision administrative de la direction. Elles peuvent entraîner l’annulation de celle-ci si le vice de forme est suffisamment substantiel pour que le juge estime qu’il a privé l’agent d’une garantie. Cela peut-être :
- le non-respect du quorum
- la non information de l'agent.e de son passage en Conseil Médical
- un avis non motivé
L'avis du Conseil Médical peut aussi être contesté sur le fond (qui sert de base à la décision de la direction). C'est dans ce cadre qu'il faut mettre en avant les avis rendus par des médecins généralistes, ou non spécialistes de la pathologie ou de la lésion examinée.
On le comprend, l'obtention du PV est une pièce essentielle dans ce type de démarches.
Le médecin du travail est informé de l’ordre du jour de toutes les séances et peut prendre l’initiative de présenter un rapport écrit. Ce rapport est obligatoire lorsque le Conseil Médical est saisi pour avis dans le cadre d’une maladie professionnelle, ou pour l’octroi de CLM ou CLD
CONCLUSION
Face à cette « simplification » et à l’affaiblissement des droits des représentants syndicaux dans ces conseils médicaux, il est plus que jamais nécessaire de nous former correctement sur l’ensemble de ces procédures, afin de pouvoir conseiller au mieux nos collègues sur le terrain.
Il est ainsi à craindre que le recours au tribunal administratif devienne le seul et unique recours face à des avis rendus par des médecins très peu formés aux réalités du travail quotidien dans nos services, voire tenant des positions réactionnaires, notamment sur la souffrance au travail.
Cette réforme est également à mettre en lien avec le verrouillage de l’accès à de nombreuses possibilités de reconnaissance des affections et accidents en lien avec le travail : taux d’IPP à 25 % minimum pour les maladies hors tableaux, conditions hyper restrictives pour les covid professionnels.
Le gouvernement contribue ainsi à désocialiser les conséquences humaines et financières (aller mieux, cela a un coût dans notre société capitaliste) des mauvaises conditions de travail que l’on nous impose.
Rappelons que Solidaires propose d’excellentes formations à la fois sur ces instances, pour armer celles et ceux qui siègent, mais également pour faire le lien avec le travail syndical sur le terrain. On ne peut qu’encourager à s’y inscrire.